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Une statue vivante des Ramblas de Barcelone sort de son silence

statue vivante karen barcelone

Vous êtes-vous déjà demandé(e), en déambulant sur les Ramblas, ce qui pouvait bien se passer dans la tête des statues vivantes de cette avenue mythique ?

Nous oui ! Nous avons donc décidé d’assouvir notre curiosité en interviewant l’une d’elles : Karen, un ange doré plus connu sous l’identité de Sirahil, gardienne des rêves. Barcelonaise d’adoption depuis plus de 20 ans, cette Argentine au parcours bien atypique et passionnée d’art de rue a des choses passionnantes à raconter !

Bonjour Karen et merci de nous consacrer un peu de ton temps. Peux-tu, pour commencer, nous parler de ton parcours ?

En Argentine, entre 7 et 18 ans, j’ai suivi une formation de danseuse classique. Puis j’ai fait une incursion dans la danse contemporaine, en Argentine.  Et après quelques années à l’université des Beaux Arts, toujours en Argentine, j’ai monté avec des amis un groupe de danse indépendant.

Malheureusement, il n’était pas facile d’en vivre,  j’ai donc trouvé du travail pour des programmes de radio et de télévision, indépendantes toutes les deux.

À la radio, j’ai rencontré mon mari, ensemble, nous avons découvert l’art de rue comme expression artistique : la rue devient ta scène, tu y montes ton spectacle pour un public urbain qui t’aide à gagner ta vie.

L’argent donné à un artiste de rue est l’équivalent d’une entrée payée pour aller voir un spectacle, mais surtout, il donne vie à la statue: c’est ce qui crée la magie. Toi, tu transmets une émotion, différente en fonction du personnage que tu choisis, de la façon dont tu l’exprimes et tu apprends avec le temps et l’expérience ce qui plaît ou non aux gens. Ce travail, c’est aussi une forme d’apprentissage.

Comment t’es-tu retrouvée à Barcelone ?

Après 3 ans à exercer le métier de statue vivante en Argentine avec mon mari, nous avons choisi Barcelone parce que tout le monde là-bas nous disait :”Ah, Barcelone et ses Ramblas, c’est le lieu le plus emblématique du monde ! C’est là où sont tous les artistes, il faut que vous y alliez.”. Donc on s’est lancé !

Et depuis toutes ces années, je suppose que tu as pu observer de nombreux changements ?

Oui, énormément ! Au début, c’était tel qu’on nous l’avait décrit en Argentine. Tu pouvais passer de point en point sur les Ramblas et voir la diversité et la qualité des spectacles, c’était hallucinant.

Ensuite, les choses ont changé: le passage à l’euro, les pays rentrant dans l’UE… Tout ça a fait basculer la situation, et très vite l’avenue a été prise d’assaut par des personnes aux déguisements médiocres qui ne respectaient pas l’aspect artistique de notre travail. C’est pour cela qu’aujourd’hui, il faut un permis pour travailler sur les Ramblas.

Comment obtenir ce permis ?

Il faut d’abord fournir à la mairie un CV, des photos… et il y a un passage obligé devant un jury.

À la première convocation, il y avait plus de 80 demandeurs, et nous sommes 30 à avoir obtenu le permis. On a même dû batailler pour ce chiffre: au début, la mairie ne voulait en garder que 15 !

15 artistes, tout le long des Ramblas et à temps plein, c’est impossible. Tu ne peux pas faire ce travail plus de 6h par jour.

On a donc monté une association, et après négociation, on a obtenu de diviser le temps de travail en deux tranches de 6h, le matin et le soir, pour employer le double d’artistes et nous permettre ainsi de travailler dans des conditions supportables.

On travaille tous les jours de l’année sauf certains jours où l’avenue est réquisitionnée, comme pour la Sant Jordi par exemple. Cela nous permet de nous reposer un peu. En soi, on n’est pas obligé de venir tous les jours, on s’auto-gère complètement. Mais comme on doit payer ce permis chaque année, c’est bête de ne pas l’utiliser.

Que penses-tu de la décision de la mairie de limiter votre zone au début des Ramblas ?

* Auparavant, toutes les Ramblas (depuis le Mirador de Christophe Colomb jusqu’à Plaça Catalunya) étaient jonchées de statues vivantes et autres artistes de rue.

Cette régulation a été mise en place par mesure de sécurité selon la mairie, pour éviter que les attroupements que l’on génère ne soient une cible facile pour les pickpockets. Ca a été considéré comme dangereux, mais que ce soit ici ou ailleurs, je ne vois pas ce que ça change, et surtout nous ne sommes pas responsables des agissements des voleurs !

Quel impact cette décision a-t-elle sur ton travail ?

Le fait d’être tous concentrés au même endroit, plutôt que disséminés sur toute l’avenue enlève de la magie et de la spontanéité.

Avant, les passants pouvaient se balader sur les Ramblas et aller de surprise en surprise. Maintenant, nous sommes tous au même endroit tout le temps et les gens vont vers celui qu’ils préfèrent, c’est moins inattendu.

Est-ce que tu peux vivre de ce travail ?

Oui, mais si tu fais le calcul, je travaille 6 heures par jour, j’ai deux heures de trajet et une heure encore pour me préparer et tout démonter, ce qui occupe 9h de ma journée. C’est un boulot très fatigant, donc c’est tout simplement impossible de jongler avec un autre emploi. Mais si tu le fais bien, tu gagnes bien ta vie.

On nous sollicite aussi pour animer de nombreux festivals, et là nos frais de voyage sont pris en charge et nous sommes bien sûr rémunérés.

Peux-tu m’en dire un peu plus sur ton personnage ?

C’est ma propre création, depuis l’idée jusqu’au montage du costume. Mon personnage va bien avec ma personnalité, parce qu’il est entier et adorable (rires). C’est un ange qui rappelle un peu la grâce des danseuses classiques. Je joue beaucoup sur l’expression corporelle et visuelle.

statue vivante ramblas barcelone 2

Est-ce ton seul personnage ?

Non, c’est le dernier en date ! Ça fait plusieurs années que je l’incarne, mais au tout début je faisais la “Dama de Paraguas”, qui est une statue typique de Barcelone au parc Güell. J’ai joué des anges différents aussi,  je fais évoluer mes costumes pour trouver celui qui attire le plus l’attention, qui sera visuellement le plus impressionnant.

On ne peut pas changer de personnage avant que la mairie nous appelle à une nouvelle convocation afin de valider notre nouveau personnage. Cela me protège de la copie, car la concurrence est rude et beaucoup sont tentés de plagier les costumes les plus “rentables”.

Comment fais-tu pour rester immobile pendant 6h d’affilée ? Tu as besoin d’une préparation particulière ?

J’essaye de rester statique, le plus possible, pour donner l’impression d’une vraie statue. Chaque pièce de monnaie me donnant vie me permet de faire un mouvement qui me détend un peu, mais en même temps me fatigue. Parce que plus on me donne d’argent, plus je dois bouger !

Mais si tu es tranquille, c’est comme quand tu dors, ton corps se relaxe, ta respiration ralentit, et quand le corps atteint l’état “alpha”, tu peux rester immobile sans problème.

À quoi penses-tu pendant tout ce temps ?

À plein de choses ! À ce que je dois faire aujourd’hui, demain, à ma liste de courses… Vraiment, tout me passe par la tête ! Et quand je suis ici, silencieuse et seule, il semble que toutes ces pensées s’organisent beaucoup mieux dans mon esprit. Donc même plus besoin d’écrire, j’ai tout dans la tête.

Une anecdote intéressante ?

Je n’en ai pas une en particulier, parce que de la même façon que je suis un spectacle pour le public dans la rue, les passants sont un spectacle pour moi ! Je les observe en permanence, et forcément je vois des choses amusantes tous les jours.

Notamment, j’ai remarqué que selon leur nationalité, les gens vont se comporter différemment avec moi. Les gens du Nord sont plus réservés et les Européens ont tendance à suivre: quand une personne se lance, tout le monde va la copier, mais ils ne prendront pas l’initiative parce qu’ils ont peur du ridicule. Les Sud-Américains, quant à eux, ne se soucient pas de ce que penseront les autres.

Y a-t-il un comportement du public qui te déplaît ?

Oui, quand les gens ne veulent que prendre des photos, sans respecter mes moments de préparation et de pause ou sans prendre en compte l’aspect artistique de mon travail. Certains veulent juste un souvenir imprimé, mais ils ne se rendent pas compte que c’est bien plus que ça !

As-tu déjà eu des problèmes avec certains d’entre eux ?

Pas vraiment, parce que je pense que mon personnage et mon attitude imposent le respect. Et j’ai assez d’expérience ici pour anticiper ma réaction si quelqu’un vient m’embêter. Je les vois arriver de loin, donc je peux réagir calmement. Sinon, je sors de mon personnage, et c’est vraiment à éviter.

Qu’est-ce que tu aimes le moins dans ton travail ?

Les moments de montage et de démontage me stressent beaucoup, parce qu’il y a beaucoup de choses à faire, le maquillage à poser… Et que je me sens sale après une longue journée de travail.

Et ce que tu aimes le plus ?

Quand je suis dans mon personnage, que je le représente et que je vois la gratitude des gens, j’aime beaucoup. Ça m’apporte une grande satisfaction.

Un immense merci à Karen pour son temps et sa gentillesse, et à Pauline, reporter de choc !

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4 commentaires

  1. Son costume est superbe! On dirait un vrai ange ;-)
    Je viens de passer une semaine à Barcelone. J’ai pris en photos mes enfants à ses côtés.
    Barcelone génial!

  2. Merci, super interview, merci à cette artiste l’ange des Ramblas…
    Ça m’a beaucoup appris, car j’ai toujours imaginé ce que pouvaient ressentir ces Statues sur Las Ramblas…mais je ne pensais pas à autant de batailles pour exister et faire la différence.
    Bravo

  3. Merci beaucoup pour ce reportage insolite et intéressant!
    Cela a changé mon regard sur ces statues vivantes des Ramblas ;-)